VII La question de fond
Sur le fond de la question, qui est de savoir si la France doit ou non rester en Indochine, il est du devoir de chacun de s’informer au mieux. Au surplus je ne pense pas que la France puisse ou doive abandonner actuellement ses territoires d’outre-mer. Les problèmes inhérents à la condition indigène1 ainsi qu’à la situation internationale ne permettent pas d’abandonner à eux-mêmes des peuples qui risquent de tomber dans l‘anarchie ou sous une autre domination, mais il me semble que certains principes peuvent servir de guides pour un examen de conscience national et pour l’édification d’une ligne politique.
1° La colonisation est basée sur le fait qu’il n’est pas possible de laisser des populations entières du monde dans un état de civilisation arriérée, et des territoires entiers dans un état d’exploitation insuffisant, qui les met provisoirement dans l’incapacité de concourir à l’économie générale des populations de la terre.
En conséquence le peuple colonisateur n’est justifiable que si, à l’exemple d’un père vis-à-vis de ses enfants, il s’assigne essentiellement pour but la croissance, l’épanouissement et la dignité des peuples dont il a pris la responsabilité, ainsi que la mise en valeur de leur patrimoine foncier, pour arriver enfin au respect de leur vocation propre (ceci pouvant aboutir dans certains cas à une séparation totale d’avec la métropole). Toute manœuvre, tout acte politique direct ou indirect tendant pour des raisons d’intérêt à maintenir des peuples indigènes dans un état d’infériorité physique, intellectuelle, morale ou spirituelle, afin de justifier un prolongement de tutelle, doit être considérée comme de nature à déchoir le peuple colonisateur de tous ses droits.
2° L’évolution normale des populations indigènes vers l’autonomie crée le devoir de penser aux relations qui existeront dans l’avenir entre ces peuples et leurs anciens protecteurs, à l’intérieur d’une association libre où seront reconnus les services moraux et économiques de ces derniers.
Dans le cas où les pays nouvellement majeurs prétendraient à une autonomie absolue, ne leur permettant d’adhérer à aucune forme d’union, des traités commerciaux préférentiels ou de systèmes d’indemnisation devraient être prévus.
VIII Conclusion
Il faut enfin se souvenir dans les conflits coloniaux qui se posent de nos jours :
— Qu’une certaine forme de violence ou de contrainte est à l’origine d’à peu près tous les établissements coloniaux actuels, et qu’en conséquence les peuples indigènes se sentent psychologiquement justifiés dans leurs révoltes et même dans leurs attaques armées.
— « Que l’expérience, même prématurée de la liberté, a plus de poids moral dans l’âme des indigènes, que toute l’œuvre civilisatrice des colonisateurs. » (a)
— Enfin qu’il est naturel de penser que l’éveil de la conscience des peuples indigènes se manifestera d’abord dans des minorités dont l’existence ne devra jamais être sous-estimée sur le plan spirituel, comme sur le plan politique.
C’est en tenant compte de tous ces éléments de principe qu’on pourra parvenir à une appréciation de la politique suivie, et de la politique à suivre, dans les difficiles questions posées par l’existence de l’Union Française.2
(a) Tiré d’un rapport à la conférence œcuménique d’Oslo.
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